Madagascar : «Avec le solaire, on peut alimenter des lampes et une petite télé» – MICRO SOLAR ENERGY
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Madagascar : «Avec le solaire, on peut alimenter des lampes et une petite télé»

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Dans un pays où seuls 12 % des Malgaches ont accès au réseau électrique, les habitants se tournent vers l’énergie photovoltaïque, dont l’utilisation s’est envolée depuis trois ans. Une alternative soutenue par la Banque mondiale.

Sur le seuil de sa maison d’Ambovo, en lointaine banlieue d’Antananarivo, Olga scrute le ciel avec inquiétude. Depuis 2017, cette femme, dont la famille vit de l’agriculture, possède un petit panneau solaire, installé sur son toit de tôle et financé grâce à un microcrédit. «Maintenant, on peut regarder la télé le soir, et faire plaisir aux enfants avec les dessins animés», raconte-t-elle dans un sourire. En plus de la télé, son panneau peut aussi alimenter trois ampoules. Mais à l’approche de la saison des pluies, elle craint que, comme l’an dernier, l’ensoleillement ne soit plus suffisant pour tout faire fonctionner.

Ambovo n’est qu’à 15 kilomètres à l’ouest de la capitale malgache. Pourtant, le réseau de la Jirama, l’opérateur électrique national, n’y parvient pas. Les derniers poteaux électriques s’arrêtent à Ambohidratrimo, à moins d’un kilomètre de piste. En 2009, Tanja Hock, une sage-femme allemande, a ouvert un centre de santé dans le village, qui a fonctionné sans électricité jusqu’en 2013. «Ensuite, on a acheté un générateur, dit-elle. On ne le faisait fonctionner que quelques heures par jour, quand c’était absolument nécessaire, à cause du prix élevé du carburant.» Depuis 2016, le centre de soins est désormais équipé d’une série de panneaux solaires, qui font jaillir de la lumière en permanence. Aux consultations générales s’est ajoutée une maternité, et l’ouverture d’une aile de chirurgie est prévue pour 2019. «Grâce à l’électricité, nous pouvons pratiquer des échographies. Nous avons aussi un frigo, pour garder les vaccins au frais, se réjouit Erica Bakolimampianina, une des sages-femmes qui y officie. Des femmes sont prêtes à faire trois heures de trajet à pied pour être suivies ici, où le matériel est plus sophistiqué.»«Pour les 25 000 euros que nous a coûtés la première installation solaire, nous aurions aussi pu demander le raccordement au réseau, explique Tanja Hock. Mais plutôt que des coupures permanentes et un prix de l’électricité élevé, nous avons préféré choisir une source d’approvisionnement fiable et propre.»

«Extension irréaliste»

L’initiative a aussi donné des idées aux villageois. Des panneaux, de moins de 50 centimètres de côté, ont fait leur apparition sur environ un tiers des toits ces dernières années. Comme Olga, Johnson Désiré se félicite d’avoir accès à la télévision grâce à un panneau pour lequel toute la famille a économisé. «Maintenant, on est au courant des nouvelles comme tout le monde. Et on peut inviter les voisins à regarder avec nous plutôt que d’aller se coucher une fois le repas terminé.»

Seuls 12 % des Malgaches sont raccordés au réseau, à peine 5 % dans les zones rurales, un des taux les plus bas du continent africain. La nouvelle politique de l’énergie, lancée en 2015, a fixé un objectif de 70 % d’électrification à l’horizon 2030. «L’Etat mise sur une extension du réseau, ce qui est totalement irréaliste, relativise Jan Kappen, spécialiste énergie pour l’antenne malgache de la Banque mondiale. Nous avons fait une simulation : même en y consacrant 2 milliards de dollars [un sixième du PIB annuel, ndlr], il serait impossible de connecter au réseau plus de la moitié du pays.» Entre 2008 et 2017, le taux de raccordement au réseau a même reculé, sous l’effet conjugué d’un manque d’entretien et de la croissance démographique.

Pour inverser ces statistiques, quelques PME se sont lancées dans la construction de mini-réseaux. C’est le cas d’Eosol, une entreprise malgache qui mise sur le photovoltaïque pour faire accéder les zones rurales isolées à l’électricité. «On relie des villages entiers à de petites centrales solaires qu’on construit à proximité, explique sa directrice, Camille André-Bataille. L’idée est de faire de l’accès à l’électricité un levier de développement économique. Par exemple, à Andavaoka, un village du sud de l’île que l’on a équipé en 2014, une chaîne de froid destinée à la pêche, un cybercafé et même un cinéma ont ouvert.» Ce type de projets se développe lentement, à cause de lourdeurs administratives constantes et de la nécessité d’une certaine densité de population pour être viables.

Lassés d’attendre l’extension du réseau, de plus en plus de Malgaches misent désormais sur les systèmes solaires individuels. En province, on croise des panneaux solaires à vendre sur les marchés des petites villes, disposés sur des stands qui proposent aussi ampoules, lampes torches ou câbles de toutes sortes. A Antananarivo, on en vend jusque dans les magasins de bricolage. Rado, salarié dans un magasin Bricodis de la capitale, assure en vendre tous les jours, à des clients «venus de la brousse. Ce sont ceux de 100 watts vendus 200 000 ariary [49 euros] qui ont le plus de succès. Ils peuvent alimenter des lampes et une petite télé». Dans un pays où trois personnes sur quatre vivent avec moins de 2 euros par jour, cela reste néanmoins une dépense conséquente, inenvisageable pour certains.

Location de lampes

A Ambatomainty, dans la région rizicole d’Alaotra Mangoro, au nord-est d’Antananarivo, un «kiosque solaire» – petit stand vert sur le toit duquel sont installés une dizaine de panneaux solaires pour une puissance de 1,5 kWh – trône au milieu du village. C’est l’un des 108 kiosques installés par l’entreprise Heri (pour herinaratra, «électricité» en malgache) dans des zones rurales isolées. Les habitants du village peuvent y recharger leur portable ou y acheter glaces et boissons fraîches, conservées dans un congélateur alimenté par les panneaux. Mais la vraie raison d’être du kiosque est la location de lampes solaires. Dans ce gros village d’environ 2 000 habitants, plus de 450 lampes sont louées chaque soir et rapportées chaque matin pour être rechargées pendant la journée.

Dans la lumière rasante de cette fin d’après-midi, les clients défilent. Parmi eux, Martine, qui loue deux lampes tous les jours depuis l’ouverture du kiosque, en 2016. «Avec la lumière, je peux continuer mes tâches ménagères plus longtemps. Et surtout, mes enfants peuvent terminer leurs devoirs après la tombée de la nuit.»

Avec des lampes louées entre 200 et 400 ariary (entre 5 et 10 centimes d’euro) par jour, quand une bougie en coûte 300, Heri s’adresse d’abord aux plus modestes, à ceux qui n’ont aucun accès à l’électricité. Mais parmi les clients, certains sont aussi propriétaires d’un panneau. Louer une lampe leur permet de le libérer pour un autre usage, comme l’explique Solohery, qui vient récupérer la sienne au kiosque. «Maintenant, j’utilise le panneau pour brancher la télé ou la radio. Avant, toute l’énergie servait pour la lumière.»

Il est 18 heures, la nuit tombe sur le village. On repère le marché aux points lumineux des lampes qui s’allument doucement. Nombreux sont les commerçants à en louer. Hortense en a suspendu une au-dessus de son étal de légumes. «Avant, j’utilisais une lampe à pétrole, mais elle me faisait beaucoup tousser. Et je ne pouvais pas la laisser allumée longtemps, sinon elle faisait trop de fumée. Avec la lampe solaire, je peux tenir mon étal ouvert plus tard.» D’autres commerçants, un peu plus fortunés, ont fait le même calcul et investi dans un panneau solaire pour alimenter un néon et rester ouverts après la tombée de la nuit, mettant un peu d’animation dans le village. Si leur panneau est assez puissant, ils en profitent pour proposer de recharger les téléphones.

Un autre kiosque solaire est installé à Amboasary, à 80 kilomètres de piste au nord de Moramanga, le chef-lieu de province. Il y a encore trois ans, le village était alimenté par le réseau de la Jirama. Puis le barrage qui alimentait la région en courant a cédé, et les maisons ont replongé dans le noir. Le cas n’est pas rare. A Bejofo, à une vingtaine de kilomètres au nord, la Jirama a coupé l’alimentation après un trop grand nombre de factures impayées. Mme Ando, qui tient le kiosque à Amboasary, loue environ 300 lampes chaque soir. «La recharge de téléphone, ça marche moins bien. C’est la période de soudure, et la plupart des gens n’ont plus assez d’argent pour charger un téléphone et louer une lampe. Le nombre de clients remonte en mars, avec la récolte.»

«Eclairer la pauvreté»

Depuis un an que son kiosque est installé, Mme Anjo a aussi vendu une centaine de kits solaires : trois lampes, qui peuvent aussi faire office de radio ou de chargeur de portable, une batterie et un petit panneau pour la charger. L’acheteur doit payer 10 % comptant, puis rembourse le reste petit à petit par un système de micro-paiements quotidiens versés par mobile. Les jours où il ne paie pas, les lampes ne fonctionnent pas. «C’est surtout des clients qui vivent loin qui en achètent, ceux pour qui c’est trop compliqué de venir ici deux fois par jour», précise la gérante du kiosque.

«Ces trois dernières années, on estime que 500 000 systèmes solaires domestiques ont été vendus à Madagascar. Si on les prend en compte, le taux d’électrification du pays double», s’enthousiasme Jan Kappen, dans son bureau de la Banque mondiale où trône une carte des projets d’électrification du pays qui fait la part belle aux solutions hors réseau, dites off-grid. «Et le tout sans subventions, puisque la plupart des bailleurs tournaient jusqu’ici le dos aux solutions individuelles, qui ne feraient “qu’éclairer la pauvreté”.» Dans son nouveau plan de 103 millions d’euros, destiné à développer l’accès à l’électricité dans le pays, la Banque mondiale prévoit désormais de consacrer la moitié de la somme au off-grid. «C’est essentiel, assure Jan Kappen. Si l’on veut atteindre un accès à l’électricité pour tous, au moins 40 % des ménages malgaches auront besoin de solutions hors réseau.» Et d’un système de subventions pour rendre des panneaux puissants accessibles au plus grand nombre. Afin que l’électricité ne soit pas simplement synonyme de lumière, mais devienne un salutaire outil de développement des zones rurales.