Autoconsommation collective : itinéraire législatif tourmenté pour une solution énergétique sociale et universelle
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Pourquoi tant de haine ? L’autoconsommation collective a semblé être vouée aux gémonies par les tenants de l’ancien monde de l’énergie, celui des systèmes d’énergie centralisés. A tel point que de nombreux freins à son développement se sont multipliés.
Et la filière solaire, le syndicat Enerplan en tête, de s’organiser pour laisser une place à cette technologie qui induit une belle philosophie, celle du partage d’une énergie propre et décentralisée. Récit d’une intrigue autour de l’autoconsommation collective !
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AUTOCONSOMMATION COLLECTIVE ET RENTABILITÉ ÉCONOMIQUE
Par délibération du 7 juin 2018, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a fixé le Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité (TURPE) pour les participants à une opération d’autoconsommation collective. Le dispositif n’encourageait pas, et promettait même d’entraver le développement de projets d’autoconsommation collective, les privant de toute rentabilité économique. Il faut en effet être en mesure de couvrir une part importante de sa consommation d’électricité en énergie renouvelable pour que le TURPE dédié soit moins élevé que le TURPE d’un consommateur standard. Cette part conséquente de la facture d’électricité devenait ineffaçable. Et ce y compris dans un même bâtiment alors qu’un surcoût n’a pas de sens puisque les électrons vont au plus court et que ceux qui arrivent à un logement social depuis les panneaux installés en toiture de l’immeuble n’auront pas emprunté le réseau et seront à coup sûr renouvelables. Un vrai camouflet pour la filière !
ENERPLAN DEMANDE À LA CRE DE REVOIR SA COPIE POUR LE TURPE DÉDIÉ
Enerplan, le syndicat des professionnels du solaire, ne pouvait que réagir. Le mercredi 25 juillet, il a adressé au gendarme de l’énergie un recours gracieux tendant au retrait de sa délibération du 7 juin. Dans son recours, Enerplan regrettait plus particulièrement que la CRE (Commission de Régulation de l’Electricité) n’ait pas davantage communiqué les études, données et autres analyses qui motiveraient sa décision.
Pour Richard Loyen, délégué général d’Enerplan :
« ce recours gracieux faisait état d’une demande à la CRE de rouvrir le dossier et d’adopter une approche cohérente avec l’Esprit et la Lettre de la Loi de niveau national et européen. A partir de données particulièrement incertaines et restreintes, le régulateur ne pouvait pénaliser l’autoconsommation collective en s’affranchissant de la volonté du législateur ».
Il est rappelé que la position de la CRE avait fait l’unanimité contre elle lors de l’examen pour avis de sa proposition de ce TURPE dédié à l’autoconsommation collective par le Conseil Supérieur de l’Energie.
POUR L’EUROPE, L’AUTOCONSOMMATION EST DEVENUE UN DROIT
Dans le même temps, l’Union Européenne faisait entrer dans les textes le droit à autoconsommer, sans frais et charge jusqu’en 2026 pour les installations de moins de 30 kW, avec la possibilité de distinguer les régimes de l’autoconsommation individuelle et collective uniquement à la condition que cette distinction soit établie sur des bases non discriminatoires et proportionnées.
Une avancée majeure !
‘‘Nous avons réussi à renforcer l’autoconsommation et à en faire un droit, et pris en compte la volonté du Parlement d’interdire les frais et charges jusqu’en 2026 pour l’énergie autoconsommée ’’ déclarait avec fierté, mardi 13 novembre 2018, le rapporteur en charge des énergies renouvelables, José Blanco López (S&D, ES).
Les États membres ont jusqu’au 30 juin 2020 pour transposer la Directive (UE) n°2018/2001 du 11 décembre 2018. Ils devront ainsi s’assurer que les citoyens ont le droit de produire de l’énergie renouvelable pour leur propre consommation, de la stocker et de vendre la production excédentaire.
L’Europe a donc affiché une dynamique volontariste sur l’autoconsommation d’énergies renouvelables, sans frais ni charge, assez loin des prédispositions de la CRE en France qui fait part, à chaque fois qu’elle en a l’occasion, de ses réticences sur le sujet.
AUGMENTATION DU PÉRIMÈTRE, OU PAS ?
« Analepse » ou retour en arrière. Le 28 juin 2018, Sébastien Lecornu, alors secrétaire d’Etat à l’écologie, donnait quant à lui des gages sur un autre point contesté quant à la réglementation de l’autoconsommation collective. Il présentait entre autres mesures du plan gouvernemental « Place au Soleil » l’augmentation du périmètre de l’autoconsommation collective. Il allait être désormais possible d’échanger l’électricité solaire entre voisins dans un rayon d’un kilomètre … Une mesure demandant un changement législatif car l’article L.315-2 du code de l’énergie limitait ce type d’opérations à l’aval du même poste public HTA/BT.
Dans la foulée, des sénateurs déposaient un amendement au projet de loi ELAN en cours d’examen, adopté avec le soutien du gouvernement. La cause semblait entendue. C’était sans compter avec l’étape de la commission mixte paritaire, qui réunit sept Députés et sept Sénateurs pour trancher les articles adoptés de façon différente par les deux assemblées. A l’issue de cette commission, l’amendement sénatorial fut supprimé, les députés regrettant de ne pas avoir eu l’opportunité d’examiner le sujet plus tôt et les sénateurs ne mesurant pas l’importance de se battre pour la cause ! Il fallait donc tout recommencer et c’est la loi PACTE qui fut choisie pour véhicule. Un amendement similaire à celui proposé sur le projet de loi ELAN fut introduit par des députés de la majorité, notamment par Barbara Pompili, Présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. L’Assemblée nationale adopte l’amendement et celui-ci figure bien dans la « petite loi ». Mais cette fois-ci, ce sont les Sénateurs qui, en totale contradiction avec leur vote sur la loi ELAN, se font alors remarquer.
LE SÉNAT DÉTRICOTE, DE RUGY REDONNE DE L’ESPOIR, L’ASSEMBLÉE TRANCHE
Sous l’influence de quelques lobbys, le Sénat a en effet soufflé le froid sur l’autoconsommation collective. Un mauvais coup, un autre, diront les plus résignés des pessimistes, a été porté à l’autoconsommation collective le 5 février dernier au Palais du Luxembourg. Ce jour là, au cours de l’examen du projet de loi PACTE en première lecture, deux amendements de suppression viennent détricoter l’article adopté à l’Assemblée nationale .
Colloque du SER le 7 février au matin. François De Rugy, déterminé, souffle de son côté le chaud sur l’autoconsommation collective. « Nous développerons l’autoconsommation et pour cela nous travaillerons sur les modifications législatives » avait-il déclaré. De quoi redonner espoir à la filière.
Des possibilités existaient en effet de remettre le sujet sur le tapis pour l’imposer une bonne fois pour toute: en nouvelle lecture dans la loi PACTE et le cas échéant, son insertion dans le texte du projet de loi énergie à suivre. Le 10 mars, le sort de l’autoconsommation collective s’est donc joué à l’Assemblée nationale. Le bout du tunnel pour le feuilleton du périmètre d’une opération d’autoconsommation collective. L’amendement N°608 concernant l’article 43 bis a été adopté par la commission spéciale de l’Assemblée Nationale. Cet amendement modifie ainsi la définition du périmètre de l’autoconsommation collective afin de permettre à des installations d’échelle locale mais de plus grande extension qu’aujourd’hui d’être qualifiées d’autoconsommation collective.
En lien avec l’élargissement de l’autoconsommation collective, il propose également de supprimer le seuil de 100 kW figurant à l’article L. 315 3 du code de l’énergie qui concerne l’obligation pour la CRE d’établir un TURPE spécifique pour les autoconsommateurs et qui s’applique ainsi aussi bien à l’autoconsommation individuelle qu’à l’autoconsommation collective, afin notamment de dé-corréler la question du TURPE de celle de la maille de l’autoconsommation collective. Après plusieurs mois de tergiversations, le cadre réglementaire de l’autoconsommation collective semblait prendre forme…
JEAN-FRANÇOIS CARENCO CIRCONSPECT ENCORE ET TOUJOURS
Quelques jours plus tard, c’est un Jean-François Carenco (président de la CRE) « sans filtre », fidèle à sa réputation, qui s’est présenté devant les députés pour être entendu par la commission chargée d’évaluer le coût des énergies renouvelables.
Indécrottable et fidèle à ses convictions, il s’est montré « circonspect » sur l’autoconsommation, avec une approche originale : l’inégalité des Français devant le gisement solaire et donc les taxes.
Extrait : « …à terme on ne peut pas continuer à avoir 75 % de nucléaire, ça n’existe pas, les Français ne le permettront pas, l’autorité de sûreté nucléaire ne le permettra pas. On passe d’un système où vous aviez une centaine de lieux de production (19 sites nucléaires, quelques grands barrages, quelques usines) à un système où il va y avoir des centaines de milliers, voire des millions de lieux de production. Ça vous donne une idée du défi gigantesque et ça donne une idée aussi de la raison pour laquelle la CRE regarde avec beaucoup d’attention et de circonspection le sujet de l’autoconsommation. Ça nous est reproché et j’assume le fait que l’autoconsommation, c’est d’abord beaucoup de réseaux et que c’est une espèce d’inégalité territoriale. Comme déjà il fait beau dans le sud, en plus on ne paye pas les taxes sur l’électricité. Il n’y a pas de raison, parce qu’il fait beau, qu’on ne paye pas les taxes sur l’électricité. C’est le fond de ma pensée. »
Un baroud d’honneur anti-autoconsommation collective !
SOULAGEMENT, LA LOI PACTE DÉFINITIVEMENT ADOPTÉE PAR LE PARLEMENT
Après plusieurs semaines de discussion au Sénat et à l’Assemblée nationale, cette dernière a adopté définitivement, jeudi 11 avril 2019 au matin, la loi PACTE (croissance et la transformation des entreprises) . Un soulagement ! Ce texte, promulgué le 22 mai par le Président de la République, porte en son article 126 (ex-43 bis) l’extension du périmètre de l’autoconsommation collective, engagement du Groupe de Travail solaire en juin 2018 acquis de haute lutte.
Il est à noter que cette extension dispose d’un caractère expérimental.
Une clause de revoyure est donc inscrite dans la loi au 31 décembre 2023. Elle revêt un caractère géographique, vraisemblablement un kilomètre de rayon comme annoncé par Sébastien Lecornu au Groupe de Travail, qui doit être défini par arrêté. Il y a donc lieu d’attendre désormais la publication de l’arrêté pour confirmation du rayon retenu. Elle conserve, malgré les efforts du syndicat Enerplan et les amendements déposés par certains parlementaires, une restriction électrique à la basse tension en injection et soutirage. Concrètement, cela exclut du périmètre de l’autoconsommation collective un certain nombre de sites moyennement ou fortement consommateurs qui devront rester en fourniture 100% réseau ou en autoconsommation individuelle.
Ce texte ouvre enfin le bénéfice de l’option tarifaire du « TURPE autoconsommation » à tous les projets (limité auparavant aux projets <100kWc). « Ce texte est donc une avancée dans la cohérence géographique des projets, sans toutefois aller au bout de la logique qui aurait voulu que l’on ne retienne pas de critère de puissance électrique a minima pour le soutirage » conclut Enerplan. Mais que de temps, d’intrigues, de consultations et de rencontres avec des parlementaires ou des hauts fonctionnaires de la DGEC pour en arriver là. C’est un fait.
L’évidence sociale et universelle de l’autoconsommation solaire collective s’est frottée et se frottera encore à de nombreuses réticences des épigones d’un système centralisé fortement ancré dans le pays. Mais comme chacun sait, « rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu ».
L’autoconsommation collective a de beaux jours devant elle avec le soutien sans faille de l’opinion autour d’un désir de croissance verte qui commence même à illuminer les urnes…
Prémian : le premier site d’autoconsommation collective couplé à une blockchain en France
L’autoconsommation collective se déploie peu à peu en France. Quelques projets pilotes fleurissent çà et là dans l’Hexagone et font l’actualité. En commençant par celui de Prémian dans l’Hérault qui n’est ni plus ni moins que le premier de France avec une répartition dynamique de la production mise au point par la start-up SunChain.
Fonctionnement du 1er site d’autoconsommation collective : Prémiam
Projet d’auto-consommation collective Prémiam
Au commencement étaient les moulins de Prémian. Le village de 550 habitants s’est lancé dans la petite hydraulique. Histoire de donner un avenir énergétique à ces pans de patrimoine du passé. Au fil de l’eau et de son ambition écologique, Prémian est devenu un TEPCV (Territoire à Energie Positive pour la Croissance Verte).
Sous l’impulsion de son maire adjoint, Roland Coutou, le conseil municipal s’est lancé dans le solaire sur les bâtiments communaux. « Nous souhaitions développer les énergies renouvelables sur notre territoire, innover et améliorer les modes de consommation énergétique afin de venir en aide aux partenaires et à nos administrés qui en ont besoin ».
Sur les conseils de l’Ademe, Roland Coutou s’est rapproché du bureau d’études Tecsol qui a vu là un parfait terrain de jeu pour mettre en place une installation solaire en autoconsommation collective. Mais pas n’importe laquelle, une installation en autoconsommation collective drivée par une blockchain développée par la start-up Sunchain, spin-off du bureau d’études.
Un projet qui se veut évolutif …si la législation le permet
Cette opération d’autoconsommation collective inclut donc les bâtiments communaux de Prémian (école-mairie, bureau de poste, atelier technique), le centre culturel, la boulangerie et le logement du boulanger. « Nous avons dimensionné une installation de 28 kWc représentant un investissement de 60 400 € TTC pour la commune qui bénéficie d’une subvention TEPCV de 80%. Le prix de revient de la centrale (LCOE PV) s’élève à 14,28 c€/kWh. Avec l’aide, il est réduit à 6 c€/kWh » souligne Henri Saurine, ingénieur Tecsol. Le taux d’autoconsommation s’élève à plus de 90%. Le surplus de production sera géré par la coopérative Enercoop, responsable d’équilibre qui adhérera à l’association Prémian Energie positive, Personne Morale Organisatrice du projet « Nous aimerions aussi que cela soit évolutif, nous souhaiterions ouvrir la possibilité à d’autres participants de rejoindre notre communauté. Nous aimerions par exemple en faire profiter le camping ou les lotissements à l’extérieur du village. A ce titre, nous regrettons la législation et les contraintes qui limitent le secteur d’autoconsommation au seul transformateur du village » poursuit Roland Coutou.
Une répartition dynamique et équitable de la production solaire
Dans ce montage de projet bordé sur le plan juridique par Alexandra Battle de Tecsol, la mairie fait don de l’électricité solaire aux autoconsommateurs collectifs. Ces derniers supportent les coûts d’exploitation de la centrale, des coûts qui représentent un peu moins de 3 c€/kWh, répercutée à travers une cotisation versée à l’association/PMO.
De quoi payer la maintenance, la gestion et le comptage Enedis, le télésuivi mais aussi ma répartition de l’électricité. Justement, cette répartition est assurée par une blockchain, une première en France. La blockchain qui certifie les flux permet d’effectuer une répartition dynamique non pas proportionnelle mais bien prioritaire et équitable entre les différents consommateurs. « Grâce la blockchain, nous affectons la production à tel ou tel consommateur suivant la volonté des acteurs de la PMO. La clé de répartition est ainsi approuvée lors de l’AG de l’association à la majorité des voix. Cela nous permet de disposer d’un taux d’autoproduction apte à satisfaire tout le monde » précise Julien Gil, ingénieur projet de SunChain. De quoi faire de Prémiam un parangon de la transition énergétique au sein de la ruralité !