Après Eole, Apollon, et voilà que Nicolas Hulot, qui se disait encore récemment agacé par «la dérive» nucléaire d’EDF au micro de France Info, retrouve un peu de couleur au soleil des énergies renouvelables. Une semaine après le feu vert donné par Emmanuel Macron à six parcs éoliens en mer, et en plein débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), le ministre de la Transition écologique peut se targuer d’un nouveau pas encourageant vers plus d’électricité verte, en attendant un peu moins d’atome. Son secrétaire d’Etat Sébastien Lecornu devait annoncer jeudi soir une grande «mobilisation» pour booster la production d’électricité photovoltaïque, encore très modeste en France.

Joliment baptisé «Place au Soleil», le plan présenté par Lecornu dans la foulée d’une visite de la Halle Pajol (Paris XVIIIe), dont le toit est couvert de près de 2000 panneaux solaires, prévoit notamment de favoriser l’autoconsommation d’électricité photovoltaïque par les particuliers. Mais surtout de mettre à contribution les géants français de l’énergie (EDF, Engie, Total), les grandes chaînes de distribution (Auchan, Carrefour, Leclerc, Système U…), et jusqu’à l’armée. Les premiers seront encouragés à créer de grandes usines solaires, les seconds à tapisser les toits de leurs hypers de panneaux photovoltaïques, tandis que la grande muette libérera du foncier. Objectif : faire du solaire le principal levier pour arriver à «32% d’électricité renouvelable dans le mix énergétique en 2030». Et, si possible, ramener à cette date la part du nucléaire à 50% (contre plus de 70% aujourd’hui). Même les bâtiments classés seront mis à contribution avec l’installation de «tuiles solaires discrètes» approuvées par… Stéphane Bern (à qui le gouvernement vient de confier une «mission Patrimoine»).

Moins de 2% de l’électricité

Actuellement, les énergies renouvelables représentent moins de 20% de la production d’électricité, et encore, essentiellement grâce aux 400 barrages hydrauliques d’EDF. Et le bilan du solaire reste pour l’heure particulièrement modeste : selon les chiffres de RTE, le photovoltaïque couvrait en 2017 moins de 2% de l’électricité consommée en France, contre 5,5% pour l’éolien et 11,2% pour l’hydroélectricité… La France est loin de l’Allemagne, qui produit aujourd’hui près de cinq fois plus d’électricité solaire que nous, et même de la Grande-Bretagne dont la météo est pourtant peu favorable (voir ce baromètre Euroobserver). D’où cette urgence soudaine à accélérer dans le solaire, dont les coûts de production ont considérablement baissé (-11% en 2017 à 55 euros/MWh) pour venir tutoyer les prix de marché de l’électricité et challenger ceux du nucléaire.

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Si le solaire est, comme l’éolien, une énergie intermittente contrairement à l’atome, le potentiel est grand sur le papier : selon l’Ademe, le gisement du photovoltaïque sur toitures est de 360 000 hectares pour 350 GW en France. Et au sol et sur parkings, il atteint 775 GW. Soit 100 fois ce qui existe aujourd’hui dans l’Hexagone. La France s’est fixée comme objectif d’installer entre 18 200 et 20 200 mégawatts (MW) de capacité solaire d’ici à 2023, contre environ 8 300 MW à fin mars 2018. Après avoir augmenté le volume des appels d’offres solaires à 2,5 GW par an, le gouvernement met donc le turbo. En toute logique, les géants de l’énergie seront en première ligne : à lui seul, EDF a déjà annoncé un «grand plan solaire» prévoyant d’installer 30 GW de capacité photovoltaïque entre 2020 et 2035 sous forme de grandes fermes solaires de 100 MW et plus. Soit la moitié de sa capacité nucléaire actuelle (61,3 GW). Total (qui vient de racheter Direct Energie) et Engie (qui se recentre sur les renouvelables) devraient embrayer.

Du solaire sur les hypers

L’engagement des cadors de la grande distribution peut surprendre mais il est logique : leurs magasins géants disposent tous de parkings à ombrières que l’on peut recouvrir de panneaux photovoltaïques. Auchan a ainsi déjà promis de mobiliser 60 hectares, Les Mousquetaires et Système U 50 ha, Leclerc 30 ha… Et comme il faudra toujours plus de terrains, l’armée va, elle, réquisitionner 2000 ha d’ici 2025 pour développer ses propres projets photovoltaïques : le ministère de la Défense montre déjà l’exemple avec 5600 m² déployés sur la toiture Sud de «l’Hexagone» qui permettent aux militaires d’économiser l’équivalent de la consommation d’une ville de 1200 habitants… La SNCF devrait elle aussi développer des projets solaires.

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Enfin, le gouvernement veut encourager les agriculteurs en prenant en charge 40% du coût du raccordement au réseau électrique des panneaux solaires qu’ils installeront sur leurs exploitations. 15 000 installations agricoles sont déjà équipées de photovoltaïques. Rigueur budgétaire oblige, les particuliers, qui souhaitent équiper leur maison, ne bénéficieront pas d’un nouveau coup de pouce fiscal : ils sont déjà aidés avec une TVA à 10% pour l’achat du matériel et l’installation. A ce jour, 30 000 foyers seulement sont équipés : ils peuvent autoconsommer pour faire baisser leur facture (en moyenne de 15 à 25%) ou revendre leur surplus d’électricité à EDF. En revanche, ils seront encouragés un peu plus pour l’achat de chaudières solaires thermiques.

Câlinothérapie signée Macron

A première vue, l’annonce de ce plan solaire semble remettre en selle Nicolas Hulot, qui a dû avaler plus d’une couleuvre sur le glyphosate et le nucléaire depuis qu’il est ministre d’Etat. A se demander pourquoi il a délégué sa «place au Soleil» à Lecornu alors qu’il avait l’occasion de briller. Sur le départ ? L’échéance du bilan qu’il s’est lui-même fixé approche à grands pas : «Cet été, on aura avec le Président et le Premier ministre, je pense, un moment de vérité», a-t-il déclaré le 16 mai dernier sur BFM TV. Et de prévenir : «Si je sens qu’on n’avance pas, que les conditions ne sont pas remplies, voire qu’on régresse, j’en tirerai les leçons».

Le timing de cette annonce procède donc sûrement d’une câlinothérapie signée Macron. Mais aussi du fameux «en même temps» cher à Jupiter : mardi, en visite à la grande foire annuelle du nucléaire, le salon WNE à Villepinte, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a caressé dans le sens du poil le lobby de l’atome : «N’ayez aucun doute : le nucléaire restera essentiel à long terme pour garantir la sécurité d’approvisionnement de notre pays, la compétitivité de notre pays, et l’indépendance énergétique de la nation française», a-t-il lancé. Une véritable provocation anti-Hulot, même si Le Maire a pris soin d’évoquer «un équilibre entre la filière nucléaire et le développement du renouvelable».